Dans une grande maison bourgeoise, une jeune femme sort un journal à la reliure de cuir vert.
C’est une jolie femme au début de la vingtaine, plutôt grande, avec de grands yeux bleus et de longs cheveux bruns ramenés en chignon. Elle porte une élégante robe longue de velours vert foncé ; une robe de Dame, comme qui dirait.
Elle soupire en regardant les flammes danser dans l’âtre, puis sourit en trempant sa plume dans l’encrier. Elle prend un soin particulier à son écriture.
« Mon enfant,
Je t’écris ces mots, pour que tu connaisses l’histoire de ta mère, car au fond personne ne peut prévoir l’avenir.
Je me doute que ton père te la raconterait, mais peut-être ne serait-il pas sûr de certains détails.
Je suis née à Pont-à-Tréteaux la veille de Yule 2998 de notre ère.
Ma mère, Aubépine, est morte peu de temps après ma naissance, me laissant à la charge de mon père, William.
Nous possédions une ferme, au nord de la bourgade. En plus des cultures vivrières, mon père avait eu l’idée de cultiver de l’herbe à pipe, et cela nous permis de vivre modestement, mais convenablement tout le long de ma jeunesse.
Tu te demanderas peut-être pourquoi ta mère portait un prénom rohir, n’étant pas de ce peuple.
C’est ma mère qui désira que je porte ce nom. Mon père respecta la volonté de sa défunte épouse.
Hearwyn… Comme la femme rohir qui sauva Aubépine de la noyade lorsqu’elle était enfant. La femme était une commerçante itinéraire, originaire du Rohan, et elle ne demanda jamais la moindre reconnaissance en ramenant ma mère chez ses parents, ni ne chercha pas à la revoir. Mais Aubépine n’oublia jamais sa sauveuse, jusqu’à m’en donner son nom. Et William m’apprit à nager, avant même que je sus monter à cheval.
Élevée à la dure par mon père, comme un garçon, je préférai vite aller chasser les orques des alentours de la propriété familiale, aidée des autres fermiers, plutôt que de m’extasier devant les toilettes à la dernière mode, comme l’aurait fait toute jeune fille. De ces chasses à l’orque, j’en ai gardé de nombreuses cicatrices.
Enfant à tendance solitaire et peu intégrée à ceux de mon âge, j’ai trouvé le moyen d’apprendre seule à lire et écrire. Mon père ayant découvert le pot-aux-roses, il m’envoya de temps en temps avoir quelques leçons avec l’instituteur du village. Monsieur Branchedroite encouragea ma curiosité en me prêtant de nombreux ouvrages, en particulier de géographie et de cartographie. J’étais si fascinée par ces lointaines contrées… Et je reste aujourd’hui curieuse du récit des personnes voyageant au loin.
Malheureusement mon père William fit à l’automne 3017 une mauvaise chute d’une échelle en rangeant les dernières bottes de foin dans le haut de la grange, se cognant la tête. Je fis mon possible pour son rétablissement durant des jours, mais l’issue fut fatale. Au moment où il rendit l’âme, je lui tenais la main. Je me souviens encore de l’image de son visage, baigné par la lumière du petit jour, tandis que son âme quittait son corps. Cet événement fit de moi la dernière Bousier, puisque mon oncle Georges et sa femme Rose étaient décédés lorsque j’avais dix ans.
Un an plus tard, à dix-neuf ans, ne pouvant continuer d’assumer seule la ferme, malgré toute l’énergie déployée, ayant décliné cinq propositions de mariage de fils cadets et benjamins des alentours de Pont, je vendis le cœur en peine les possessions familiales avant d’aller réaliser le rêve de jeunesse de feu mon père : m’engager dans le Guet, afin de servir la justice.
Le Capitaine Trotteur du Guet de Pont-à-Tréteaux déclina ma demande de recrutement, ricanant en voyant une fermière se proposer. Je partis donc tenter ma chance à celui de Bree, où le capitaine Carvin Bermudet m’accepta parmi ses rangs.
Ayant eu l’intelligence de vendre mes biens avant de tout dépenser en solde pour des journaliers, je me retrouvai avec une coquette somme d’argent en ma possession en plus de la solde qu’on m’accordait au Guet.
J’étais la seule veilleuse, la seule femme au Guet (confrérie Le Guet de Bree), assurant le même travail que les autres veilleurs. Le Sergent me confia d’abord la garde de la Porte Nord avec son père. Par la suite, en récompense de mes missions, on me permit de faire des rondes à ma guise dans tout Bree.
J’avoue que j’étais têtue et avais une fâcheuse tendance à contester les ordres de mes supérieurs. Ton père pourra te le confirmer. Un comportement qui m’astreint plusieurs fois à des corvées telles que récurer les fosses d’aisance.
Mais tout n’était pas tranquille à Bree, et avec l’hiver approchant, un souvenir ayant terrorisé la bourgade réapparut : la Bête de Combe.
Elle tua plusieurs personnes, dont un nourrisson et l’un d’entre nous… Bree tremblait chaque jour un peu plus.
Nous, veilleurs, cherchions à remonter sa piste, et celle de son maître Alcide Crinoir.
Je me proposai pour servir d’appât pour faire sortir le Maître. Le Sergent n’était pas très enthousiaste à cette idée et m’accompagna pour que je place l’invitation à Alcide… qui fit son apparition aussitôt. Il me tint en respect tandis qu’il ordonna à sa Bête de s’attaquer au Sergent. Je le rejoins, mais il fut blessé à la cheville. Fort de cela, Alcide s’éclipsa.
Tant bien que mal je remontai sa piste. Mais il se travestit en personne ordinaire, et mes supérieurs le relâchèrent tandis que je cherchais la trace de la Bête. J’eus l’instinct de rejoindre le Brigadier Horwell qui raccompagnait l’homme vers Combe. Qui finit par dévoiler son jeu. Alcide s’attaqua à Horwell, j’eus à affronter sa Bête.
Elle me déchiqueta l’épaule gauche ; j’en garde encore la cicatrice, et je sens encore le feu la traversant les jours de pluie. Mais je profita qu’elle fut sur moi pour la transpercer au ventre de mon épée. Horwell était blessé, j’allais l’aider et commis ce que j’espère que tu n’auras jamais à faire : prendre la vie d’une autre personne. Je ramenai mon collègue brigadier en sûreté, on nous soigna.
Mon tabard et mon haubert de veilleuse avaient été ruinés par les crocs de la Bête.
Le Sergent, tailleur de formation, me proposa ses services pour en refaire un à mes mesures. Et me proposa de me fournir quelques vêtements plus personnels, et de le tutoyer en dehors du service.
Je découvris une personne différente, qui me plut, au point de faire fondre le cœur de glace de l’austère fermière que j’avais été.
Un homme dont le seul regard fait battre mon cœur, dont le sourire chavire mon âme. Je te donne le nom du Sergent : Audreigh Poireaux. Ton père.
Il me demanda en mariage, ce que j’acceptai sans avoir à réfléchir. Bien que nous eûmes à attendre, les circonstances de la vie s’en mêlant.
Le Guet changea de capitaine, suite à la démission de Carvin Bermudet, au profit de Eofle Espelette, qui l’avait déjà été.
Bermudet et moi-même avions affronté un groupe d’Archetois, qui nous sembla dissidents de Bree. L’affrontement auquel des civils participèrent (pas tous respectables, je te l’avoue) pour aider le Guet. Parmi ces personnes se trouvait le défunt époux de notre gouvernante Sygbare. Malheureusement un jeune Archetois y laissa sa vie. Et il s’avéra par la suite que Bermudet et moi-même nous étions fourvoyés. On nous convoqua pour nous entendre à ce sujet : Bermudet rendit de son propre chef son poste, on me relaxa, et même me proposa de devenir Sergent à la place du Sergent Poireaux. Je refusai, autant pour laisser le poste à ton père (car à ce moment-là, nous n’étions pas officiellement fiancés, et le Guet ignorait notre tendre penchant) que parce que cela ne m’intéressait guère d’être promue.
Je fis davantage la connaissance de la famille Poireaux à travers la personne de Brunellin Poireaux, le grand-oncle de ton père. Un homme bon, intelligent, serviable, aimé de bien des Bréards, anciennement instituteur et magistrat. Je le considérai très vite comme mon propre oncle, et il s’avéra qu’il me prit aussi en affection et donna sa bénédiction à ton père pour convoler en justes noces.
Mais tout ne peut aller bien dans la vie… Le frère de Brunellin, Brunard, revint d’une longue absence, réclama sa part d’héritage. Suite à un duel judiciaire, il remporta la propriété des biens Poireaux. Par la suite, les relations des deux frères entraînèrent le décès de Brunellin par la main même de Brunard. Et celui-ci fut retrouvé mort, dans d’étranges circonstances. Ces événements firent de ton père le nouveau chef de la famille Poireaux via le testament de Brunellin, Brunard n’ayant lui-même aucun descendant.
Pour ne pas aider, dans le même temps que ces temps troublés, je fis plusieurs actes que je regrette amèrement aujourd’hui, dont celui d’accorder du crédit à des personnes peu recommandables, en ayant à l’origine idée d’aider le Guet. Contre l’avis du Sergent, contre l’avis de mon fiancé. Des actes qui ont eu de fâcheuses répercussions sur les relations entre ton père et moi, parce que j’eus la mauvaise idée de mentir pour cacher mes erreurs. Des actes qui le firent souffrir au plus haut point, et qui m’assaillent de culpabilité encore aujourd’hui. Des actes qui entachèrent ma réputation de veilleuse. Des actes que l’immense bonté de ton père me pardonna.
Le capitaine Eofle Espelette s’éloigna du Guet suite au décès de Brunellin, qu’il considérait comme un père, et des Anciens finirent par nommer le Sergent au poste de Capitaine.
C’est dans cette période des fêtes de Yule que je fêtai mes vingt ans. C’est aussi le vingt-huit décembre 3019 que ma vie, que notre vie, changea pour plusieurs raisons : nous nous mariâmes et la formation du Guet dont nous faisions partie fut dissoute par Espelette car ton père n’avait pas l’âge pour être veilleur et encore moins Capitaine.
Les anciens veilleurs devaient donc reprendre nos anciennes activités…
Avec ton père, nous eûmes l’idée de concevoir un regroupement d’artisans et de commerçants, afin d’instaurer aide et efficacité au sein de l’artisanat bréard, (confrérie Le Conseil des Artisans de Bree), auquel Wilwyn Chênebranche se joint, que tout Bréard connaît sous le vocable « Le gros Wil ». Plusieurs artisans vinrent rapidement nous rejoindre.
Dans le même temps, ton père poursuivait le chantier de ce que tu connaîtras sous le nom de Domaine Poireaux. Que nous habiterons très bientôt.
J’espère que tu n’auras pas à lire ces mots, que j’aurais la chance de te raconter tout cela de ma bouche, quand tu seras en âge de l’entendre.
Que tu auras la chance de connaître ta mère. Une mère qui n’a pas connu la sienne.
Sois sûr, que ton père et moi t’aimons déjà de tout notre cœur et que tu es ardemment attendu.
Ta mère, Hearwyn Poireaux, née Bousier. »
La femme repose sa plume dans l’encrier, pose une main sur son ventre encore plat, mais plein d’espérances. Puis sourit à l’homme assis non loin d’elle.
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Bonne idée d’introduire la bio en pensant aux générations futures:)
Merci beaucoup !
J’ai essayé de trouver une forme un peu différente pour que le récit soit vivant.
Je trouve ça aussi très chouette, la mise en abyme donne plus de profondeur au texte. Du reste, la narration nous fait bien voyager :)
J’aime bien ce procédé. Selon ce qu’on veut raconter, cela enrichit le contexte, comme tu le soulignes toi-même.
Je trouvais cela très émouvant de faire ainsi, comme Hearwyn va devenir mère et n’a pas connu la sienne. Elle veut être sûre de ne pas être une inconnue pour son enfant même si elle ne survivait pas.
Magnifique. Et bonne façon de présenter les confréries aussi.